La satisfaction, éphémère seulement, sur mon visage, en voyant ma réflexion sur mon miroir. Je n’ai pas déjeuné ni dîné depuis des mois. Je ne m’autorise aucune collation. Je meurs de faim, j’essaye pourtant de me convaincre du contraire. Je ne suis plus capable d’endurer mes pensées qui ne rôdent qu’autour de la nourriture, me rendant folle. J’ai mal à la tête, mes yeux ne supportent plus la lumière. Je n’ai plus de concentration, autre qu’en classe, où même là, je dors car je manque d’énergie. Je ne suis plus capable d’avoir de conversation avec mes amies. Ni personne d’autres. Ma peau n’a plus de couleur et mes yeux sont vides et ternes. Le néant y habite. Mes ongles qui pénètrent dans mes côtes quand l'urgence dans mon estomac gronde la nuit, me suppliant de me nourrir.
Malgré tout, quand vient le temps du souper, le repas qui m’est obligatoire, lorsque l’ustensile est au bord de mes lèvres, je fige. Pareillement à la fin de ma mastication, je ne suis pas capable d’avaler. Sous le regard de ma mère, je m’exécute rapidement, suivi d’un sentiment de honte.
Mes cheveux tombent en énorme quantité. Ça en est horrifiant. J’ai froid. En tout temps. Mes pantalons tombent de mes hanches, mais j’ai l’impression de toujours élargir. Mon beau-père s’inquiète, ma mère aussi. Ma sœur fait des commentaires blessants. Mes amies et mon copain me posent des questions sur mes étranges habitudes alimentaires. L’idée de manger devant du monde m’horrifie. Tout le monde juge les personnes en surpoids qui mangent, non? Du moins, c’est ce que je ressens en tout temps. De la taille 5, puis au 3 et enfin au 1. Pourquoi on voit mes os de hanches comme ça? Ouch, ça fait mal en plongeon de volley. Pourtant, à la fin de la journée et dans tous les miroirs que je croise, tout ce que je vois est une énorme merde, obèse et moche. Petite et large. Des seins, un ventre et d’énormes cuisses qui rendent ma silhouette alourdie et ignoble.
Je me rends compte de l’atrocité écrite dans les lignes précédentes. C’était mes paroles, des mots que j’ai écrits et que je pensais de moi, il y a quelques mois. C’était une obsession. Je suis heureuse d’être sortie de cette loupe, qui te torture avant tout l’esprit, puis, qui a des répercussions horribles sur ton corps. J’ai eu une phase de “guérison” si on veut, je mentirais si je disais que ça a été facile. L’enfer constant que je vivais n’était pas une guerre avec mon corps, mais plutôt avec ma tête. C’est comme si ma manière de me percevoir était doublée d’un filtre, qui était un conflit plus profond enfoui en moi, me pourrissant la conscience et ma paix intérieure.
Mon corps n’a jamais été un problème ni même la nourriture, mes pensées entachées de la maladie de l’anorexie l’étaient.
Danyka Fortin