Il y a des cicatrices dans mon enfance que même les années n’osent pas affronter. Certaines douleurs se sont incrustées si fort que j’ai grandi avec, comme on s’habitue à manquer d’air. Chez moi, personne ne parlait de bonheur. C’était un luxe, une histoire qu’on raconte aux autres. Chaque matin, c’était déjà un combat, avant même d’ouvrir les yeux. On répète que les enfants s’adaptent. Mais on oublie de dire que parfois, ils s’adaptent à la douleur, parce qu’ils n’ont rien d’autre.
J’ai grandi au rythme des cris et des silences qui plombent l’air. Dans une maison où les murs gardaient les secrets au chaud, mais pas les gens. Les nuits s’étiraient, pleines d’ombres qui n’étaient pas les miennes. Très tôt, j’ai compris qu’il valait mieux avaler ses larmes pour ne pas déranger, marcher sur la pointe des pieds pour éviter la prochaine explosion. Chez moi, ce n’était pas un refuge. C’était un champ de mines. Les phrases qui coupent, je les connais par cœur. Les silences, je les ai intégrés aussi.
Et puis il y a eu des pertes. Celles qui arrivent avant qu’on sache ce que ça veut dire, « perdre ». Les adieux sans raison, les départs qui laissent un trou que personne ne comble. J’ai appris jeune que certaines absences font plus mal que la pire des présences.
Les trahisons… je ne les ai pas vues venir. Elles frappent sans bruit, surtout quand tu crois pouvoir enfin respirer. Les promesses qui se délitent, les visages qui se détournent pile au moment où tu avais besoin d’un regard. Ce genre de blessures, ça ne saigne pas. Mais tu découvres la solitude, bien avant l’heure.
Avec mon père, le chemin a été cabossé, tordu. On s’est loupés, on s’est perdus, on s’est retrouvés face à face, parfois dans la douleur. Pourtant, je ne sais pas comment, une petite flamme n’a jamais voulu s’éteindre. Aujourd’hui, elle éclaire faiblement un lien qui tient encore debout, un peu bancal, mais là. Ce n’est pas simple, ce n’est pas parfait, mais pour moi, c’est presque un miracle.
Et puis il y a mon père biologique… lui, il a laissé des fantômes en moi, des ombres que j’ai dû affronter seule. Il est parti avec des morceaux de mon enfance, sans même s’en rendre compte. J’ai grandi trop vite, obligé de devenir grand alors que j’avais encore besoin d’être petit. Mais malgré tout, il m’a laissé une leçon brutale : se relever quand personne ne vient. Rester debout, même quand tout en toi veut tomber.
Et malgré tout ça, je suis encore là. Pas intacte. Pas invincible. Mais vivante. Résiliente. Chaque fissure a sa propre histoire. Chaque chute a forgé ce que je deviens. Si mon histoire touche, ce n’est pas parce qu’elle est triste. C’est qu’elle prouve qu’on peut survivre, même quand la vie essaie de te briser.
Peut-être que la vraie victoire, la seule qui compte, c’est ça je suis encore debout, là où beaucoup m’auraient cru à terre et pas capable de me relever ; au fond de moi, il y avait un reste d’étincelle qui m’a permis de me relever. C’est la seule victoire qui compte et j’en suis fière.
Elianna


