Au moment où j'entre dans la pièce, une vague de nostalgie s’empare de mes pensées. Mes yeux se posent sur le piano et des souvenirs musicaux dansent maintenant dans ma tête. Ces murs ont vu passer de nombreuses étapes de ma vie. Je m’approche et, dès que mes doigts atteignent les touches, un choc électrique y émane, traversant mes phalanges et montant jusqu’à mon cou. Enfin, je prends place sur le banc de bois et me mets - pour la dernière fois - à débuter cette pièce de laquelle je suis si amoureuse…
Sans même devoir les contrôler, mes mains savent où elles doivent aller; elles connaissent par cœur la chorégraphie de "Je te laisserai des mots" de Patrick Watson. La mélodie transporte mon esprit dans un univers plus calme et serein.
Au fil des accords, mon corps se soumet de plus en plus à la musique et je me perds dans le rythme de la mélancolie, de la nostalgie. Autour de moi, le monde porte un filtre beige. Beige comme le morceau d’un parchemin qui détient les mots d’une lettre d’amour destinée à un amant décédé. Un amour impossible rempli de tragédie et d’espoir fou inachevé. Un espoir fou qui nous fait chuchoter des mots, seul, dans le noir, avec l’espoir d’être entendu ou au moins, d’être ressenti. Avec la dernière note qui approche, je reviens lentement dans le monde actuel.
Voilà. Dans quelques secondes, j’aurai voyagé pour la dernière fois de cette chambre qui nous a vus grandir, mes frères, sœurs et moi. Mes doigts hésitent, ralentissent. J’essaie de terminer la pièce, mais je m’en trouve incapable. Cette note finale ne représente pas que la fin de la chanson, mais elle symbolise également la fin de ce couplet de ma vie.
Après aujourd’hui, plus jamais, je ne remettrai le pied ici. Atteignant l’accord final, je laisse mes doigts le presser aussi longtemps que la résonance des cordes et des marteaux me le permet. Relâchant la pédale, je suis finalement prête à traverser la porte et à commencer le prochain mouvement qui s’écrira dans la sonatine de ma vie.
Rose